Un investisseur value exige traditionnellement une décote importante par rapport à la valeur intrinsèque de l’entreprise. Mais celle-ci ne se réduit plus à la seule valeur comptable de ses actifs corporels.

Points clés

  • Les principes fondamentaux du Value Investing ont été définis par Ben Graham et David Dodd dans leur livre “Security Analysis” en 1934. L’idée de Ben Graham d’une “marge de sécurité”, se traduit par l’achat d’un titre si et seulement s’il est évalué avec une décote suffisante par rapport à la valeur intrinsèque de l’entreprise
  • La compréhension précise de ce qu’est la valeur intrinsèque d’une entreprise a été remise en question à maintes reprises au fil du temps. Avec l’émergence des FAANGs (titres de sociétés technologiques les plus performantes) au cours des 20 dernières années, la notion qu’une grande partie de la valeur intrinsèque d’une entreprise est intangible et ne peut être trouvée dans un bilan est devenue de plus en plus importante
  • De Warren Buffet, élève de Graham, à l’éclatement de la bulle DotCom, la question demeure : Comment définir cette marge de sécurité, synonyme de création de valeur potentielle pour l’investisseur
Au cours de la bulle internet de la fin des années 1990, il était courant d’entendre des investisseurs affirmer « cette fois, c ’est différent » pour justifier leurs investissements dans les valeurs du web. Ils faisaient valoir que les anciennes règles de valorisation des titres ne s’appliquaient plus à l’économie de l’internet.

Le rythme de l’innovation était si rapide que l’on pensait assister à une succession de rupt ures technologiques, chaque nouvelle avancée rendant caduque la précédente, et par conséquent accélérant l’obsolescence des actifs créés. S’agissant des valeurs internet, les afflux de liquidités étaient majoritairement décorrélés de leur résultats, et si on pr évoyait des bénéfices c’était dans un avenir lointain. La bour se privilégiait la croissance exponentielle et se souciait peu de la v alorisation.

Au début de l’année 1999, les 10 plus grosses valeurs de l’indice S&P500 représentaient 21 % de sa v aleur de marché et incluaient notamment les sociétés Microsoft, Intel, IBM et Cisco Systems. Après la surperformance de plus de 27 points de l’indice Vanguard Growth sur son homologue Value en 1998, ces 10 titr es avaient entamé l’année 1999 en se traitant sur des ratios cours/bénéfice (P/E) de 44. On connait la fin de l’histoire. L’investissement value n’avait pas disparu et les investisseurs fustigés pour être fidèles à cette approche furent réhabilités.

Vingt ans plus tard, certaines des valeurs les plus en vue, y compris les GAFAN (c.-à-d. Google, Amazon, Facebook, Apple et Netflix), viennent cependant nous rappeler la bulle internet. Les GAFAN sont effectivement représentés dans les portefeuilles value, même si ces valeurs se négocient en moyenne à 34 fois leurs bénéfices anticipés à 12 mois (selon les normes GAAP, « principes comptables généralement reconnus »). Après 10 années de sous-performance des indices value par rapport à leurs versions growth, les gérants value qui détiennent les GAFAN en portefeuille sont-ils en train de renier leurs principes fondateurs ? Ou bien est-ce vraiment différent cette fois ?

Naissance de l’investissement value
Revenons à la genèse de l’investissement value afin de déterminer si quelque chose a vraiment changé. En 1934, Ben Graham et David Dodd avaient écrit Analyse de Titres (« Security Analysis »), ouvrage qui avait rapidement été considéré comme la bible de l’investissement value. Dans ce livre, Graham présentait son idée d’investir seulement lorsqu’il disposait d’une « marge de sécurité », à savoir qu’il n’achetait un titre qu’avec une décote importante par rapport à la valeur intrinsèque de l’entreprise. Ce concept demeure aujourd’hui un principe central de l’investissement value, même si l’idée a près de 100 ans.

Dans les années 1930, sous l’influence de la récente dépression économique, la valeur intrinsèque d’une entreprise était définie comme sa valeur de liquidation. Par conséquent, Graham avait proposé la formule suivante : une action réussit l’examen de marge de sécurité seulement si elle se négocie avec une forte décote par rapport à sa valeur de liquidation estimée.

Les quarante années suivantes
Au cours des 40 années qui ont suivi, les cours des entreprises ont généralement évolué de façon très corrélée à leurs valeurs comptables, et les investisseurs patients ont souvent pu trouver des sociétés délaissées se traitant en-dessous de leur valeur estimée de liquidation. L’économie dominée par l’industrie lourde permettait de valoriser aisément les entreprises sur la base de leurs actifs corporels.

En fait, encore en 1975, 83 % de la valeur de marché de l’entreprise moyenne étaient représentés par la valeur comptable de ses actifs corporels. Cependant, dans une économie où la valeur provenait avant des immobilisations, il était difficile de garder un avantage concurrentiel. Si vous obteniez des performances exceptionnellement élevées, d’autres sociétés allaient copier vos immobilisations et votre avantage disparaissait. Pour les entreprises qui se traitaient temporairement avec de fortes primes par rapport à leur valeur comptable, cela rendait difficile le maintien de cours de bourse élevés. Dans ce contexte, de nombreux investisseurs suivaient une approche consistant à acheter des sociétés à des cours décotés par rapport à leur valeur comptable et à ensuite attendre patiemment un retour à la moyenne.

Des années 1980 à aujourd’hui
Au début des années 1980, le portefeuille de Berkshire Hathaway géré par Warren Buffett ne suivait en rien à l’approche en faveur de titres à faible ratio cours/valeur comptable privilégiée par son professeur Graham. Ce portefeuille incluait des titres comme General Foods, RJ Reynolds, Time Inc. et Washington Post Co. Interrogé sur le prix apparemment élevé payé pour ces entreprises par rapport à leur valeur comptable, Buffett aimait rétorquer que leurs actifs les plus précieux (à savoir leurs marques) n’étaient même pas inscrits à leurs bilans. À l’époque, il déclarait : « Ma propre façon de penser a radicalement changé par rapport à il y a 35 ans où j’avais appris à privilégier les actifs corporels et à fuir les entreprises dont la valeur économique dépendait avant tout de la bonne fortune économique ».

En soulignant l’importance décroissante des actifs tangibles dans la détermination de la valeur d’une entreprise, cette citation semble aussi d’actualité aujourd’hui que lorsqu’elle figurait dans le rapport annuel 1983 de Berkshire. Ce que Buffett avait compris plus tôt que la plupart des investisseurs value, c’est que les règles comptables conservatrices ignoraient la valeur des actifs incorporels (p. ex. images de marque, listes de clients, dépenses de R&D et brevets). En conséquence, la valeur comptable ne reflétait pas pleinement la valeur économique d’entreprises dotées de marques fortes.

Aujourd’hui, dans une économie moins gourmande en actifs immobilisés, les actifs incorporels sont devenus déterminants. L’importance relative des actifs tangibles par rapport aux valeurs incorporelles s’est complètement inversée par rapport à il y a 40 ans. Les actifs incorporels représentent désormais plus de 80 % de la valeur de marché de l’entreprise moyenne. Tout comme à l’époque de Graham. Cependant, les normes comptables ne cherchent même pas à valoriser ces actifs.

Par exemple, pour les sociétés appartenant aujourd’hui au S&P 500, la corrélation entre le cours de bourse et la valeur comptable des actifs tangibles est désormais très faible : à peine 14 %. Il s’agit d’un très grand changement par rapport à il y a 25 ans où cette corrélation atteignait 71 % (soit cinq fois plus qu’actuellement). Contrairement à cette époque, connaître la valeur comptable d’une société donne aujourd’hui peu d’indications sur le prix de son titre.

Valoriser les entreprises en 2019
Du fait de ce changement dans l’économie mondiale, la technique visant à trouver une marge de sécurité a évolué. Les auteurs Feng Gu et Baruch Lev considèrent qu’il est temps pour les investisseurs de changer leur modèle d’investissement.1 En d’autres termes, ils pensent que la prévision de résultats a perdu toute pertinence, et même une prévision parfaite des bénéfices des entreprises ne conduit plus à des gains significatifs pour les investisseurs. Ils plaident pour « changer l’angle d’analyse et de valorisation des titres en passant des bénéfices à un examen concurrentiel plus large et à plus long terme reposant principalement sur des données non comptables ».

Nous sommes d’accord avec cette « nouvelle » approche puisque nous la pratiquons depuis plus de 40 ans… Nous cherchons des investissements dont la valeur économique n’est pas facile à déceler dans les simples indicateurs comptables que sont le résultat net et la valeur bilan. Au cours de cette période, nous avons détenu en portefeuille plusieurs entreprises de produits alimentaires quand nous avons considéré que l’augmentation des dépenses publicitaires par ces marques venaient sous-estimer les bénéfices. Nous avons aussi détenu des distributeurs de télévision par câble qui avaient publié des pertes nettes et des valeurs comptables négatives alors même que ces sociétés étaient en train d’augmenter rapidement le nombre de leurs abonnés. Et nous avons eu en portefeuille des sociétés de biotechnologie à forte croissance qui, après retraitement de leurs dépenses de R&D en investissements de long terme, se négociaient sur des ratios cours/ bénéfice inférieurs à ceux d’entreprises pharmaceutiques matures. Nous pensons que les bénéfices et les ratios P/E d’aujourd’hui sont de très mauvais indicateurs de la véritable valeur des GAFAN, c’est pourquoi nous recourons à d’autres mesures qui identifient mieux la valeur intrinsèque propre à chaque société. Comme les actifs incorporels de pensée n’est pas différent de ce qui nous a conduit à détenir des valeurs de l’alimentation et de la télévision par câble au début des années 1980. Aujourd’hui, cette approche s’applique simplement à davantage d’entreprises.

Trouver des investisseurs value
Dans un monde où la valeur d’une entreprise provient principalement de ses actifs incorporels, il est également plus difficile d’utiliser un type de style de gestion pour comprendre l’approche d’investissement d’un gérant de portefeuille. Même si nos portefeuilles ont toujours tendance à présenter un P/E inférieur à celui du marché, nous investissons plus souvent dans des « exceptions » pour lesquelles le P/E calculé selon les normes comptables semble élevé. Pour ces « exceptions », les vrais investisseurs value devraient être capables d’expliquer la façon dont ils calculent leur marge de sécurité : qu’obtiennent-ils de plus selon eux que ce qu’ils ont payé ?

Par exemple, nous avons actuellement une position sur Alphabet, malgré un titre qui se négocie à 22 fois les bénéfices attendus sur 12 mois et qui est détenu par de nombreux gérants de croissance. Pour déterminer la valeur intrinsèque d’une entreprise, nous utilisons une approche de type « somme des parties ». Alphabet possède davantage que Google, le premier moteur de recherche au monde. Pour aboutir à la valorisation de tous les actifs hors Google, nous valorisons la trésorerie, les investissements cumulés dans des projets de type capital-risque (Alphabet détient par exemple Waymo, le leader de la technologie de conduite autonome) et YouTube. Ensemble, ces investissements ne contribuent en rien aux bénéfices courants de Google, et ce malgré leur valeur considérable. Ces investissements sont ce que nous obtenons « gratuitement », ce qui crée notre marge de sécurité pour l’investissement dans Alphabet. Notre analyse indique que le marché valorise Google à environ 14 fois ses bénéfices, ce qui est un niveau trop bas pour une entreprise qui a de très faibles besoins en capital marginal, une part de marché élevée, et qui bénéficie d’un contexte sectoriel très porteur qui alimentera une croissance des revenus d’au moins 20 % sur les prochaines années.

En résumé
Ainsi, cette fois, ce n’est finalement pas différent. L’investissement value se définit toujours par sa marge de sécurité. Cependant, pour de nombreux investisseurs, le processus de recherche de la marge de sécurité a évolué. Quels que soient les indicateurs changeants qui déterminent la valeur d’une entreprise, les principaux concepts de l’investissement value sont ceux qui figurent dans l’ouvrage Analyse de Titres publié pour la première fois il y a 84 ans :

  • les investisseurs suivent des modes, sont soumis à leurs émotions et réagissent de façon excessive,
  • cela signifie que les prix des actions s’éloignent parfois de leur valeur intrinsèque,
  • cela permet aux investisseurs patients d’investir quand le prix est inférieur à la valeur,
  • ce qui crée une marge de sécurité.
1 Feng Gu et Baruch Lev. Il est temps de changer votre modèle d’investissement - Perspectives - Financial Analysts Journal | Une publication du CFA Institute Crédits Formation Continue : Volume 73 Numéro 4 © 2017 CFA Institute

Publié en janvier 2020.

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