Dans cette interview, Hadrien Gaudin-Hamama, spécialiste Impact & ESG chez Mirova, présente les nombreux défis des investisseurs en matière de biodiversité ainsi que le rôle crucial qu'ils jouent dans les initiatives d'accélération.

Points clés

  • Le financement de la biodiversité doit augmenter chaque année pour atteindre l'objectif de « zéro perte » fixé pour 2030 par le Cadre mondial de la biodiversité des Nations unies (accord Kunming-Montréal de 2022). Résorber ce déficit de financement sera un véritable défi. Le secteur financier doit donc se mobiliser pour atteindre l'objectif de 200 milliards de dollars.
  • Les investisseurs privés ont un rôle clé à jouer pour accélérer les initiatives en faveur de la biodiversité en apportant des capitaux aux entreprises qui fournissent des solutions efficaces, et nouant un dialogue avec elles afin de les aider à déployer une stratégie ambitieuse en matière de biodiversité.
  • Les investissements en actions permettent de financer rapidement des solutions qui réduisent les pressions sur la biodiversité sur toute la chaîne de valeur et complètent les activités de restauration et de conservation.
  • Mirova - l’affilié de Natixis Investment Managers dédié à l'investissement durable - a établi une feuille de route ambitieuse qui définit un cadre clair pour améliorer la structure de ses indicateurs et de ses méthodologies. Ces principes se reflètent dans la sélectivité des investissements intégrés à l'ensemble de ses portefeuilles (Article 9 du règlement SFDR1) et dans ses efforts ininterrompus en matière de dialogue et de sensibilisation.
Le patrimoine naturel de notre planète est le résultat de l'évolution progressive du monde vivant depuis l'apparition des premiers organismes il y a plus de 3 milliards d'années. La biodiversité, le tissu vivant de la Terre, est un assemblage extrêmement complexe d'éléments. Aussi fragile que varié, l'équilibre de la biodiversité mondiale est aujourd'hui gravement menacé. Près de 70 % des espèces de vertébrés sauvages ont disparu au cours des 50 dernières années2 et 1 million d'espèces animales et végétales sont aujourd'hui menacées.3 Par la déforestation, l'urbanisation, la pollution, la surexploitation4 et d'autres facteurs de pression, les activités humaines mettent en péril la richesse naturelle de la planète Terre.

Pourquoi les investisseurs doivent-ils s'intéresser à la biodiversité ?

A l’image du changement climatique, le déclin de la biodiversité menace nos activités, nos modes de vie et, en fin de compte, la survie de l’espèce humaine. Bien qu’elle soit vitale pour l'humanité, la production alimentaire évolue actuellement sur une trajectoire intenable. Les pratiques agricoles actuelles, qui exercent les pressions les plus fortes sur la biodiversité, mettent également en péril la capacité même de l'agriculture à nourrir durablement la population. La dégradation des sols menace des services écosystémiques essentiels comme la régulation et la filtration de l'eau, ce qui réduit également la capacité de résistance au changement climatique.

Les écosystèmes sont également des puits de carbone essentiels et leur restauration par des entreprises du secteur alimentaire souhaitant atténuer d’elles-mêmes leur impact peut jouer un rôle majeur pour atteindre la neutralité des émissions d'ici 2050 et l'absence totale de perte de biodiversité d'ici 2030.

Sur le plan strictement économique, 55 % du PIB mondial dépend directement de la bonne santé de la biodiversité.5 En outre, la dégradation de la biodiversité induit d’un part des risques de transition et des risques physiques susceptibles d’entraîner des pertes de profit immédiates pour les investisseurs et, d’autre part, des risques systémiques capables de déstabiliser les marchés financiers au-delà des secteurs dépendants des services écosystémiques.

Pour parvenir à une perte de biodiversité nulle d'ici 2030, nos modes de production et de consommation vont devoir changer de manière systémique et rapide. À cet égard, la sélection active des actifs peut assurer un rôle majeur pour insuffler un changement aussi radical.

Quelles sont nos responsabilités en tant qu'investisseur ?

Nous pensons que les investisseurs privés ont un rôle clé à jouer pour accélérer les initiatives en faveur de la biodiversité en apportant des capitaux aux entreprises qui fournissent des solutions efficaces.

Les tests de résistance liés à la nature menés par la Banque mondiale mettent en évidence trois actions prioritaires. La première, la réduction des subventions préjudiciables,6 est une prérogative des États. Les deux autres priorités sont en revanche entre les mains du secteur privé : rémunérer les propriétaires d'actifs naturels pour éviter la conversion des terres et investir dans la recherche sur l'agriculture. Pour y parvenir et pour atteindre l'objectif « zéro perte » d’ici 2030, le secteur financier doit se mobiliser afin d’apporter des financements de l’ordre de 200 milliards de dollars.

À l'heure actuelle, près de 143 milliards de dollars sont mobilisés chaque année pour la conservation de la biodiversité, l’essentiel provenant du secteur public. En comparaison, 632 milliards de dollars sont mobilisés chaque année pour des projets liés au climat.7 Selon nous, le financement de la biodiversité va progressivement atteindre le niveau des investissements dédiés au changement climatique, à mesure que les investisseurs privés prendront conscience de l’urgence de la situation et des opportunités qui pourraient en découler. Le financement de la biodiversité doit absolument augmenter chaque année, sans oublier l’importance majeure du dialogue avec les acteurs sur les chaînes de valeur durables et la mesure des empreintes écologiques.

La majeure partie de ce financement devra être consacrée à la transition agricole (54 %), à l'environnement urbain (10 %) et à l'entretien des pêcheries et des forêts (6 %), qui peuvent être financés par des investissements en actions, tandis que d'autres activités (conservation, atténuation des espèces envahissantes, restauration des littoraux) nécessitent 30 % du financement total, via d'autres classes d'actifs.8

Quelles sont vos initiatives concrètes en tant que chef de file des investisseurs dans le domaine de la durabilité ?

Face à ces besoins d'investissement gigantesques, Mirova a décidé de faire évoluer ses méthodologies en matière de durabilité tout en s'alignant sur les cadres réglementaires. Par exemple, la conformité des portefeuilles à l’Article 9 du règlement SFDR garantit une définition claire de l'impact positif et cela se reflète dans nos méthodologies ESG sectorielles.

Chez Mirova, nous privilégions les entreprises qui œuvrent à la réduction des pressions sur la biodiversité en renforçant la circularité de leur activité, en réduisant leur pollution, ou encore en prenant des mesures d’atténuation des conséquences du changement climatique, notamment l'utilisation durable des terres grâce à des synergies avec la sylviculture durable. Le déploiement des critères liés au principe « ne pas causer de préjudices importants » (do no significant harm) favorise la réduction des risques. Comme les secteurs à fort impact, comme l'agriculture, ne sont pas suffisamment couverts par la taxonomie de l’UE, Mirova a comblé ce déficit en développant sa propre taxonomie de l'impact positif, qui devrait progressivement converger avec les futures mises à jour de la taxonomie.

Nous avons également actualisé nos priorités annuelles en matière d'engagement afin d'encourager les entreprises des secteurs « importants » à réduire leurs impacts, en proposant une série d'actions visant à garantir des normes minimales et à atteindre des pratiques avancées. L'agriculture régénératrice est une bonne illustration de cette problématique : les exigences minimales dans ce secteur comprennent la publication de lignes directrices à l'intention des fournisseurs, et les pratiques avancées exigent une évaluation/certification des pratiques agricoles par un prestataire indépendant à l'aide d'un tableau de bord.

Existe-t-il une feuille de route dédiée à l'investissement dans la biodiversité ?

On observe à l’échelle mondiale un nombre croissant d'objectifs, de cadres, de normes, d'engagements et de recommandations qui aident les acteurs du secteur financier à tenir compte des considérations relatives à la biodiversité.

Le plus connu est probablement le Cadre mondial de la biodiversité (CMB). Le CMB a été adopté lors de la 15è Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB) qui s'est tenue à Montréal en décembre 2022. Signé par près de 200 pays ainsi que par de nombreuses entreprises et institutions financières, il est désormais largement connu sous le nom d’« Accord de Paris pour la biodiversité ». Ce cadre liste des objectifs prioritaires auxquels Mirova s'est engagé à contribuer en se concentrant sur 6 objectifs, dont 3 sont particulièrement pertinents pour les actions et les obligations : reconnaître le rôle des solutions basées sur la nature pour atténuer les changements climatiques (ce qui s’applique aux entreprises des secteurs de la sylviculture et de la production alimentaire), réduire l'empreinte des grandes entreprises et mobiliser des capitaux supplémentaires au service de la biodiversité.

Les cadres sectoriels qui guident les institutions financières comprennent le rapport d'orientation « Act Now » et le guide « Climate-biodiversity Nexus » de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, le réexamen des outils de collecte et d’analyse des données, mais aussi les préconisations des PRI concernant la fixation d'objectifs. En outre, le Groupe de travail sur les informations financières liées à la nature (TNFD9) fournit des recommandations essentielles en matière de communication d’informations. Lancé en septembre 2023, cette initiative devrait transformer la manière dont les investisseurs évaluent et gèrent les risques liés à la nature et à la biodiversité. Mirova a été l'un des premiers à adopter ces recommandations et s’est engagé à rendre compte en 2025 de ses performances 2024 en la matière sur la base de ces préconisations.

Quel est votre point de départ pour avoir un impact positif sur la biodiversité ?

Notre approche en matière de biodiversité contribue à l'objectif de la Convention sur la diversité biologique de stopper et d'inverser la perte de biodiversité d'ici 2030, tout en restant aligné sur le scénario d’une augmentation de moins de 2°C des températures établi par la COP15 à Paris.

Pour stopper et inverser la perte de biodiversité, nous adoptons la devise de l’initiative « Science Based Targets for Nature », également connue sous le nom de « hiérarchie d'atténuation » : éviter, réduire, restaurer.
  • L'évitement aura probablement l'impact le plus prononcé, mais il repose sur une comparaison avec des scénarios prospectifs de réduction des pressions, qui ne sont pas encore totalement établis. A ce sujet, on peut notamment citer le remplacement des protéines animales par des protéines d'origine végétale. Dans le domaine de la sylviculture, les impacts proviennent de l'utilisation de sous-produits du bois destinés à la production de biens et de produits biochimiques ou encore de l'utilisation de cires en remplacement de produits chimiques plastifiants persistants dans les emballages en carton liquide.
  • Obtenue via la transition vers des produits et des services innovants et de rupture, la réduction est évaluée via une comparaison avec les performances environnementales passées. Il peut s'agir notamment de l'agriculture de précision, qui permet l'échantillonnage des sols et les cultures intercalaires, ce qui réduit l'utilisation d'engrais chimiques tout en améliorant la santé des sols, mais aussi de la récupération des eaux usées des municipalités pour l'agriculture et la reconstitution des nappes phréatiques.

    Nous nous intéressons également aux entreprises qui font preuve de bonnes pratiques et qui s'engagent à réduire leur impact en usant de leur influence sur leur chaîne de valeur, avec notamment des objectifs crédibles alignés sur les recommandations de l’initiative Science-Based Targets for Nature (SBTN10) pour la terre et l'eau douce ou encore les meilleures pratiques définies en interne par nos analystes dans chaque secteur d’activité.
  • La restauration de la nature là où elle a été dégradée est possible grâce à des processus comme la conversion des sites d'enfouissement, l'assainissement des friches industrielles, la filtration avancée des eaux polluées pour les composés chimiques persistants. Cela peut se produire sur les chaînes d'approvisionnement des entreprises, par exemple via des initiatives de compensation des impacts sociaux-environnementaux au sein de leur propre filière (insetting).
Comment mesurer l'impact d'une entreprise sur la biodiversité ?

La complexité de la mesure de la biodiversité est un obstacle majeur pour les investisseurs qui souhaitent intégrer des indicateurs liés à la nature dans leur analyse. La nécessité de disposer de normes et de lignes directrices mondiales claires a donné naissance à de nouveaux indicateurs : en adoptant une approche similaire à celle pour le climat, dont le principal indicateur est l'émission de GES (gaz à effet de serre), les chercheurs ont décidé de faire de l'abondance moyenne des espèces (MSA) une norme commune pour mesurer la biodiversité.

L’« abondance moyenne des espèces » (Mean Species Abundance - MSA) est un indicateur de biodiversité illustrant l'abondance moyenne des espèces indigènes dans un écosystème par rapport à leur abondance dans des écosystèmes non perturbés. Il permet de mesurer l'état de conservation d'un écosystème par rapport à son état originel, lorsqu'il a été détérioré par les pressions des activités humaines.

Nous évaluons l'ampleur des pressions exercées par les entreprises sur la biodiversité grâce aux corrélations entre les pressions et le niveau d’abondance. L'abondance relative est un paramètre clé de la diversité fonctionnelle, qui un rôle de la biosphère identifié dans le Cadre des limites planétaires. L'amélioration de l'abondance relative complète les mesures de conservation et de restauration des écosystèmes qui se concentrent sur la diversité des espèces.

La plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) définit cinq pressions clés sur la biodiversité. Il s'agit de l'utilisation des terres et des mers, de l'exploitation directe des organismes, du changement climatique, de la pollution et de l'invasion d'espèces exotiques.

Nous avons choisi de rendre compte des impacts en utilisant l'empreinte sur la biodiversité par le biais de l’indicateur MSA.km22, ou « Mean Species Abundance times surface unit », qui équivaut à un niveau d’utilisation des terres par l'entreprise. Cet indicateur exprime donc, du côté positif, des terres entièrement restaurées à leur état vierge et, du côté négatif, une surface convertie en une zone de biodiversité nulle.

L'empreinte de chaque entreprise est calculée à l'aide d'une approche reposant sur le cycle de vie, qui tient compte de l'impact des produits et services de l'entreprise au fur et à mesure de leur utilisation, ainsi que des facteurs de production utilisés en amont. Avant même la création de ces objectifs, Mirova a depuis longtemps intégré la biodiversité dans son analyse des investissements. Cette approche contribue pourtant à démontrer nos progrès vers notre objectif aligné sur la Convention sur la diversité biologique, qui consiste à réduire les pressions exercées par les entreprises et à accroître l'impact positif.

La mesure de l'impact sur la biodiversité peut-elle s'appliquer à toutes les entreprises ?

Oui, mais cela n'est pas nécessairement pertinent. Nous adoptons une approche globale en analysant des sociétés cotées de toutes tailles et dans toutes les zones géographiques. Cependant, nous analysons en priorité les entreprises des secteurs qui exercent les pressions les plus fortes par unité produite, comme le prévoit la matrice de matérialité du SBTN.

Notre partenaire – Iceberg Data Lab – peut simuler l'empreinte sur la biodiversité de toute entreprise en fonction de l'exposition du chiffre d’affaires généré par ses produits et de leur impact moyen sur leur chaîne de valeur, grâce à une base de données reposant sur des tableaux entrées-sorties (input-output) et à une base de données de conversion environnementale. Les entreprises qui publient leurs impacts à l'aide d'indicateurs physiques – conformément aux recommandations sectorielles du TNFD et/ou de la CSRD11 – permettent aux consultants d'affiner leur analyse et de fournir une image plus précise de leurs impacts.

Il faut néanmoins reconnaître les limites actuelles de ces outils d'évaluation des empreintes sur la biodiversité, notamment en raison de la portée limitée des pressions et des écosystèmes, leur dépendance aux corrélations plutôt qu'à l'état réel de la nature. C’est pourquoi nous sommes en faveur de nouvelles améliorations. Nos analystes sectoriels de l’équipe Impact & ESG s'appuient également sur des bases de données ouvertes concernant la déforestation des chaînes d'approvisionnement, les produits chimiques, l'eau, mais aussi les controverses. Quoi qu'il en soit, la méthodologie de Mirova en matière de durabilité repose sur l'analyse qualitative, grâce à laquelle il est possible d’apporter un éclairage précieux aux méthodologies sectorielles de nos analystes.

Publié en janvier 2024.
1 Source : « À l'exception de certains fonds dédiés et de fonds délégués par des sociétés de gestion extérieures au Groupe BPCE. Le Règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR) a vocation à accroître la transparence en matière de responsabilité environnementale et sociale sur les marchés financiers, en fournissant des données sur la durabilité des produits financiers (intégration des risques et principales incidences négatives sur la durabilité). Les produits relevant de l’Article 9 au sens du SFDR ont un objectif d'investissement durable par rapport aux produits relevant de l'Article 6 (pas d'objectif de durabilité) ou de l’Article 8 (caractéristiques environnementales et sociales).

2 Source : https://livingplanet.panda.org/

3 Source : https://www.ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf

4 Source : https://royalsociety.org/topics-policy/projects/biodiversity/human-impact-on-biodiversity/

5 Source : https://www.pwc.com/gx/en/news-room/press-releases/2023/pwcboosts-global-nature-and-biodiversity-capabilities.html

6 Subsidies which have been identified as environmentally harmful.

7 Source : Financing Nature: Closing the Global Biodiversity Financing Gap – Paulson Institute

8 Source : https://www.climatepolicyinitiative.org/wp-content/uploads/2021/10/Global-Landscape-of-Climate-Finance-2021.pdf

9 TNFD : the Taskforce on Nature-related Financial Disclosures

10 SBTN : Science Bases Targets Network

11 CSRD : Corporate Sustainability Reporting Directive

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