Selon notre dernière enquête auprès des investisseurs institutionnels, la plupart d'entre eux associent l'IA à un avenir qui ressemblerait plus au film Le Stratège (Moneyball) (50 %) qu’à Terminator (6 %), affirmant qu'il s'agit simplement d'un nouvel outil d'analyse des données plutôt que d'une clé ouvrant la porte d'un avenir dystopique. Cependant, 35 % définissent également l'IA en fonction du film War Games, craignant qu'un pirate informatique ne déclenche des troubles géopolitiques, économiques ou sociaux.

Les techno-optimistes et les pessimistes se sont retrouvés récemment à l'occasion du Symposium sur l’Intelligence Artificielle, un évènement organisé par Thematics AM le mercredi 29 novembre 2023 à l’hôtel George V à Paris.
Voici trois observations clés des leaders d'opinion qui sont montés sur scène

1. Il faut réglementer l’Intelligence Artificielle
Dr. Luc Julia, Chief Scientific Officer chez Renault, co-créateur de Siri et auteur de « L’intelligence artificielle n’existe pas » (2019).

L’Intelligence Artificielle (IA) suscite espoir, crainte et fascination. Est-elle une source d’opportunités d’investissement, de gains de productivité ? Va-t-elle détruire des emplois ? Une IA super intelligente non contrôlée est-elle une menace pour l’humanité ?

Compte tenu des risques et menaces que fait peser l’IA sur nos vies, il faut la réglementer. C’est en tout cas ce que pense Luc Julia. Il faut néanmoins bien positionner le curseur et réglementer avec discernement pour ne pas brider inutilement l’innovation. L’exploitation des données nécessaires aux algorithmes pose la question de la gouvernance des données et de la propriété intellectuelle des données personnelle. Il serait dommage de freiner toute progrès de l’IA au nom d’un hypothétique danger potentiel. Selon Luc Julia, l’IA n’est pas bonne ou mauvaise en soi. Tout est question de l’usage qu’on en fait. Il faut l’utiliser à bon escient. La reconnaissance faciale peut par exemple être utilisée à des fins d’authentification forte par une banque ou par une dictature pour contrôler sa population.

Et si les dangers potentiels de l’IA sont indéniables, les bénéfices le sont également. L’IA a de nombreuses applications dans le monde de l’entreprise : création de nouveaux biens et services, automatisation des tâches répétitives, prédiction des pannes dans les machines, tri des CV dans les services RH.

Dans le domaine de la médecine, les applications en radiologie peuvent par exemple aider à affiner le diagnostic des radiologues. Les exemples de progrès permis par l’IA sont légion dans les transports, la domotique, les smart cities. L’IA peut faciliter la vie et sauver des vies. Bref, en réglementant, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

2. En déléguant la prise de décision à la machine, nous prenons le risque d’en devenir une.
Gaspard Koenig, philosophe, homme politique, chroniqueur dans Les Echos, essayiste et romancier, auteur de « La fin de l’individu. Voyage d’un philosophe au pays de l’intelligence artificielle ».

L’IA peut-elle nous déshumaniser ? C’est la question que pose indirectement Gaspard Koenig. L’Homme se distingue de la machine par son autonomie cognitive, sa capacité à porter un jugement, à faire des choix. Le libre-arbitre est le fondement des sociétés libérales. Déléguer nos prises de décision à des machines revient à atrophier notre capacité à décider et de facto renoncer à notre liberté, comme le chauffeur Uber qui suivrait aveuglément Google Maps sans questionner la pertinence de l’itinéraire proposé. En déléguant la prise de décision à la machine, nous prenons le risque d’en devenir une. Quand on renonce à prendre des décisions sur des petites choses, on court le risque de ne plus pouvoir les prendre sur de grandes choses, alerte Gaspard Koenig.

Le développement de l’IA peut entraver notre liberté. Notre pensée et notre capacité à argumenter ne doivent pas être abandonnées à une machine, d’autant plus que l’IA peut être dévoyée pour nous influencer à travers des techniques de nudge en partant du principe que l’homme n’est pas autonome dans sa prise de décision. L’Homme doit garder son esprit critique vis-à-vis de la technologie et éviter la techno-béatitude.

3. Le facteur limitant pour faire grandir les sociétés technologiques françaises, c’est le capital.
Philippe Tibi est Président du Comité exécutif et des comités techniques du projet « financement scale-up » au ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, Vice-Président du Conseil de surveillance du Fonds de Réserve pour les retraites, Professeur de finance à l’école Polytechnique et à Sciences Po.

Un rapport1 remis au Ministère de l’Economie et des Finances français en juillet 2019 par Philippe Tibi dressait le constat d'une insuffisante capacité de financement des entreprises technologiques en France au moment de leur accélération industrielle et commerciale ou ‘late stage’.

A la suite de ce rapport, une initiative de soutien à la French Tech portant son nom a été lancée par le Ministère de l’Economie et des Finances. Un groupe d’investisseurs institutionnels français, notamment des assureurs, s’est engagé auprès de l’Etat français à allouer une partie de ses investissements (6 milliards €) au financement d’entreprises technologiques française via des fonds gérés en France non cotés (fonds de capital innovation late stage) et cotés (Global Tech).  Trois ans après le lancement de l’initiative Tibi, le bilan est positif avec 45 fonds en capital-risque qui gèrent 16 milliards €, dont 3 dépassent le milliard d’encours. Le gouvernement veut désormais aller plus loin et accélérer.

Pour Philippe Tibi, le principal facteur limitant à la croissance des entreprises technologiques françaises, c’est le capital. Les start-up américaines et chinoises bénéficient d’un accès au financement d’une profondeur sans commune mesure à travers des fonds de capital-risque. « Aux Etats-Unis, l’an dernier, il y a eu plus de 100 levées à plus de 100 millions de dollars », met en perspective Philippe Tibi. Faute de pouvoir trouver les financements adéquats, les entreprises technologiques françaises de taille encore modeste en phase de late stage optent soit pour une introduction en bourse, parfois prématurée, en France ou à l’étranger, soit pour une cession à un concurrent ou bien se tournent vers un fonds de capital-innovation étranger pour lequel le montant de levée de fonds demandé ne sera pas un frein.

Rédigé le 18 décembre 2023

Thematics AM est une société affiliée de Natixis Investment Managers et fait partie de notre collectif d’experts.
1 Source: https://www.economie.gouv.fr/rapport-philippe-tibi-financement-des-entreprises-technologiques-francaises

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