Peut-on combiner Intelligence Artificielle (IA) et ESG. Cette question fit l’objet d’un passionnant débat sur l’IA entre deux experts : Dr. Luc Julia et Dr. Carmine de Franco.

Points clés

  • Peut-on combiner Intelligence Artificielle (IA) et ESG. Cette question fit l’objet d’un passionnant débat sur l’IA entre deux experts : Dr. Luc Julia et Dr. Carmine de Franco.
  • Luc Julia, Vice-Président de l’innovation chez Samsung est le co-fondateur de Siri. Il a travaillé au MIT, au CNRS, pour Apple et Samsung.
  • Carmine de Franco est scientifique de formation et dirige la recherche fondamentale et ESG d’Ossiam.
Bruno Poulin, Président d’Ossiam, a rappelé en préambule que la recherche et l’innovation étaient au coeur du process de développement de produits chez Ossiam, une société de gestion affiliée du groupe Natixis, spécialisée dans la gestion systématique quantitative, depuis sa création en 2009. L’IA (Intelligence Artificielle) est mal comprise et fait l’objet de nombreuses craintes ou fantasmes. Décryptage par deux experts.

Qu’est-ce que l’IA ?

LJ : On ne peut apparenter l’IA à Terminator ou Her. Les machines ne prendront jamais le contrôle et ne dirigeront pas le monde, comme le suggèrent les films d’Hollywood. Tout ceci n’est que de la science-fiction. Tout est parti d’un immense malentendu. En 1956, lors de la conférence de Dartmouth, John McCarthy a convaincu ses collègues d’employer l’expression « intelligence artificielle » pour décrire une discipline qui n'avait rien à voir avec l'intelligence. Tous les fantasmes et les fausses idées dont on nous abreuve aujourd’hui découlent de cette appellation malheureuse. C’est pour cette raison que je préfère parler d’intelligence augmentée ou avancée plutôt qu’artificielle.

En vérité, l’IA, n’est rien d’autre que des mathématiques, de la logique et des statistiques. Elle permet de créer des outils performants qui vont aider l’homme à réaliser de grandes choses : faciliter la vie quotidienne des hommes, permettre d’améliorer leur capacité de production. Cette intelligence est systématiquement contrôlée par l’homme et peut être utilisée dans tous les domaines. Et cela existe depuis la nuit des temps.

Le Machine Learning (ou apprentissage machine autonome) est une catégorie de modèles prédictifs dans la famille d’IA. Il s’agit d’algorithmes auxquels on présente des cas similaires successifs (sous la forme de jeux de données) et qui sont capables d’établir de manière autonome, des prédictions, après avoir reconnu la structure et les relations parmi les données d’apprentissage.

La clé de cet outil est la reconnaissance de la connaissance. Pour être efficace et opérationnel, le machine learning a besoin de beaucoup de données et qu’elles soient de qualité pour ne pas biaiser les résultats futurs. L’IA a fait beaucoup de progrès dans la reconnaissance visuelle et vocale, mais elle a ses limites. C’est ce qui fait sa différence avec l’intelligence humaine. L’IA est discrète et spécifique elle n’invente rien et ne peut que répondre à une tâche définie. L’intelligence humaine lui est supérieure, elle est diverse, complexe et variée. Quel que soit le domaine abordé, l’homme aura un avis, une réponse à apporter – même si celle-ci est fausse. En d’autres termes, l’IA est juste un outil à notre disposition, qu’on peut utiliser plus ou moins bien, et qui a de nombreuses applications. Il n’y pas une mais plusieurs IA. Une IA qui joue aux échecs, une IA qui conduit...

Siri [L’assistant vocal d’Apple] a été lancé en… 1997. Siri n’était pas bon au début ; Il ne pouvait traiter que 80% des requêtes. Alors, pour parer à ce défaut, on a rendu l’algorithme plus humain en donnant l’impression de converser avec une personne. On a rajouté de la stupidité artificielle. Quand Siri ne comprenait pas, il sortait une blague.

Jusqu’où l’IA peut-elle encore progresser ?

LJ : Si on prend l’exemple des voitures autonomes, les voitures actuelles comme celles de Tesla sont de niveau 3. La voiture autonome de niveau 4 sortira bientôt. La voiture autonome niveau 5 n’existera jamais.1 Une voiture autonome qui appliquerait le code de la route ne réussirait pas à traverser la place de l’étoile à 18h. L’homme s’adapte. La machine non. Il est plus facile pour une machine de nous battre au jeu de go ou aux échecs que de conduire. L’humain peut tricher et contourner les règles, la machine ne comprend pas des règles détournées.

Quel est l’impact environnemental de l’IA ?

LJ : L’IA demande beaucoup d’énergie. Notre cerveau consomme 20 Watts à l’heure. AlphaGo [l’IA de Google qui a battu le champion du monde en mai 2017] consomme 440 KWatts2 à l’heure. On va dans le mur si on n’alloue pas correctement la consommation énergétique de l’IA. Il faut donc s’éduquer et réglementer pour régler ce problème.

Quelles applications de l’IA pour la finance ?

CdF : La gestion d’Ossiam est systématique. Être systématique, c’est se donner une règle d’investissement, souvent quantitative, et l’appliquer systématiquement. Cela a l’avantage de limiter les biais humains, conscients ou inconscients, qui affectent notre jugement en situation d’incertitude.

L’IA en revanche nous évite de définir les « règles » systématiques, car elle va identifier ces règles (patterns) de manière autonome sur la base de son apprentissage. Compte tenu de la taille des bases de données désormais accessibles et exploitables, l’IA nous permettra, à travers le croisement de données, de mettre en lumière des liens, difficilement détectables à l’échelle humaine, entre différentes sources de données et le comportement des actifs financiers. Des corrélations pourront émerger. Mais les algorithmes aussi sont biaisés par le choix des données à partir desquelles ils apprennent.

LJ : C’est vrai. Le robot conversationnel Tay de Microsoft, capable d’interagir sur Twitter, a été débranché moins de 24 h après son lancement du fait de ses propos sexistes et racistes. Cet algorithme était nourri avec des données issues de conversations tenues dans le Sud des États-Unis dans les années 60. Il est difficile de trouver des données de conversation de qualité et annotées.

CdF : On éduque un algorithme comme un enfant. Il faut le nourrir avec des données de qualité pour qu’il puisse « apprendre » tout seul.

En quoi l’IA est-elle meilleure que l’humain pour traiter des données ESG ?

CdF : Avoir recours à un algorithme permet de ne pas être noyé par la quantité de données. L’IA pourra prendre en compte plus de sujets qu'un analyste qui ne fera que les survoler. C’est pour cette raison qu’il faut déléguer cette tâche de sélection à un algorithme.

Les données ESG sont difficiles à exploiter. L’analyste est meilleur que l’IA s’il ne couvre que quelques dizaines d’entreprises. En revanche, l’algorithme marche mieux lorsqu’il s’agit d’analyser des milliers d’entreprises. Par exemple, un algorithme peut identifier qu’un certain profil ESG est souvent associé à un comportement financier bien spécifique (ex. sur ou sous-performance) et segmenter les titres par type de profil. Le machine learning intègre ce profil et d’autres portant sur différentes matérialités ESG pour constituer un panel d’experts fictif, qui va être en mesure de déterminer si un investissement est un risque ou une opportunité. Le machine learning applique des règles ex ante et observe des patterns.

Chez Ossiam, nous délimitons l’espace que le machine learning peut explorer. Nous intégrons des filtres et c’est par une allocation systématique qui prend en compte le risque que la sélection se fera in fine. L’homme garde le contrôle.

Comment voyez-nous notre futur ?

LJ : Je suis un optimiste. La technologie est là pour améliorer la vie des gens. On peut certes commettre des erreurs (comme la trop grande consommation énergétique par exemple) mais je suis persuadé que nous parviendrons à dépasser ces obstacles, notamment en régulant.

L’homme ne sera pas remplacé par la machine. Jamais. On aura des experts. Certaines tâches spécifiques seront remplacées. D’autres métiers seront créés autour de ces nouvelles technologies, comme cela existe depuis la nuit des temps.
1 Au niveau européen et international, le degré d’autonomie de la voiture autonome comporte 6 niveaux. Niveau 0 : Le conducteur uniquement. Niveau 1 : Le conducteur est assisté. Niveau 2 : Automatisation partielle, le conducteur superviseur. Niveau 3 : Automatisation conditionnée. Niveau 4 : Plus de conducteur dans certaines situations. Niveau 5 : Plus de conducteur, la voiture totalement autonome. Plus de détails sur https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9hicule_autonome#Classification

2 kilowatt-heure (kW.h ou kWh) : Energie consommée par un appareil de 1 000 watts pendant une durée d’une heure. A titre de comparaison, un radio réveil fonctionnant en continu consomme 20kWh et un four classique 165 kWh. Source : https://www.energiedouce.com/content/12-conseils-faq-consommation-electrique-des-appareils-electromenagers

Publié en février 2020

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